Histoire de l'école de Nancy
Présentation du contexte historique de l'avènement de l'école de Nancy
L'Ecole de Nancy
Par François Loyer, commissaire général de l'Année de l'Ecole de Nancy
La Lorraine connaît avec l'Art Nouveau l'un des plus grands moments de son histoire artistique. L'explosion économique vécue par la région durant le dernier quart du XlXe siècle y a nécessairement contribué; toutefois, la prospérité ne suffirait pas à justifier par ellemême une telle réussite. La réputation internationale acquise par le mouvement a été le résultat de multiples efforts, souvent bien audelà des cercles étroits de la création. Pour perdurer, l'activité culturelle ne peut se contenter en effet d'apparaître comme le produit de la mode ou de la satisfaction des élites. Elle doit s'enraciner au coeur de la vie économique d'une région, tirer parti de ses ressources jusqu'à en devenir l'emblème. L'Ecole de Nancy est si bien parvenue à le faire en son temps qu'elle nous apparaît encore aujourd'hui comme un modèle. Deux générations déjà ont oeuvré au développement culturel de la Lorraine lorsque se fonde, en 1901, l'Alliance provinciale des Industries d'art. De l'arrivée du chemin de fer (1850) à la création de l'université (1854), les conditions ont été réunies pour l'envol économique et intellectuel de la région. Malgré le choc de la guerre perdue, en 1870, puis l'immigration massive des Alsaciens victimes de l'Annexion, la ville connaîtra une formidable expansion. Le développement des industries chimique et sidérurgique en font bientôt l'un des centres de la production nationale.
Nancy se hisse dès lors au rang des capitales régionales. La relance d'activités traditionnelles comme la fabrication de la céramique et du verre vient ajouter à cette production un volet plus directement tourné vers la consommation. En donnant une qualité artistique aux objets manufacturés, les créateurs de l'Ecole de Nancy ont scellé l'alliance entre art et industrie à laquelle rêvait le monde moderne. L'idée était dans l'air depuis la génération du romantisme. Dans l'Angleterre victorienne, John Ruskin dénonçait déjà avec emphase le mauvais goût bourgeois d'une production d'imitation inspirée par les styles du passé et soumise aux exigences de la série. A contre-courant de son époque, il revendiquait le retour à I'artisanat comme la seule solution du conflit. La grande force des nancéiens (au premier rang desquels se situe Emile Gallé) est d'avoir dépassé cette antinomie en prônant, à la manière de William Morris, la collaboration de l'art et de l'industrie au sein d'une chaîne continue intégrant la pièce unique, le multiple et la série comme les différents états de la conception puis de la diffusion des objets d'art auprès d'une clientèle élargie. Attaché à l'individualité de sa production, Gallé ne partageait certes pas entièrement les visées du mouvement des "Arts and Crafts". Il voulait consacrer le triomphe de l'artisanat d'art sur la série, mais il savait que cette dernière était incontournable. Le marché qu'il visait (et auquel il est parvenu) était moins étroit que celui des galeries ou des collectionneurs. Grâce à lui, I'Ecole de Nancy a fait le passage d'un artisanat de luxe à toute une gamme des produits plus courants -rétablissant au passage le lien qui s'était brisé entre I'ordinaire et l'exceptionnel. On comprend la croisade que Roger Marx mènera bientôt en faveur d'un "art social" dont l'instrument devait être l'art appliqué à l'utile. La modernité du propos est remarquable, elle situe l'un des enjeux majeurs de l'art du XXe siècle. La condamnation des hiérarchies académiques entre Beaux-Arts et arts mineurs, la foi dans l'avenir des arts décoratifs comme expression "de la vie moderne et du progrès" (selon la formule de Williams Morris) sont à I'origine de cette orientation novatrice. Elle devait conduire les arts appliqués de l'artisanat vers la petite série, en donnant à l'artiste la position d'un créateur de modèles qui nous est désormais familière, sans pour autant le couper des exigences de la qualité. Une telle évolution n'était possible que relayée par une diffusion commerciale à large échelle, celle des grands magasins ou de la clientèle internationale. Les industries d'art de Nancy ne se sont donc pas limitées à la sphère régionale ou nationale.
De Chicago à Turin en passant par Londres, Munich ou Bruxelles, elles ont été à la conquête de marchés mondiaux, à travers les expositions universelles ou les manifestations artistiques leur permettant de se faire mieux connaître à l'étranger. La dernière étape de cette marche vers la consécration internationale d'un mouvement régional a été l'enracinement dans le contexte lorrain. Culturellement, I'Ecole de Nancy est profondément locale par ses sources renouant avec le gothique flamboyant ou le Rococo dont la Lorraine avait été la terre d'accueil. Mais elle ne s'enferme pas dans l'imitation encore moins dans la nostalgie. Elle tire de l'imaginaire floral du décor médiéval un monde d'invention, nourri par la longue tradition française du néogothique (tradition qu'elle conteste bien qu'elle en soit l'héritière). Nombreuses avaient été les recherches sur la stylisation de l'ornement floral, depuis Ruprich-Robert ou Viollet-le-Duc jusqu'à Grasset; toutes tendaient à faire de l'art floral un exercice purement graphique d'animation des fonds. La génération de la fin du siècle récuse à l'évidence le bien fondé d'une telle conception. Lorsque Eugène Vallin se tourne vers le gothique flamboyant, c'est pour en souligner l'inépuisable fantaisie, en dire l'abondance et la diversité, le perpétuel renouvellement ... D'autres y ajouteront cette dimension onirique du symbolisme qui caractérise l'époque. Il s'en dégage une production libre dans ses formes, riche d'émotions comme de références. Les artistes de l'Ecole de Nancy regardent également du côté des sciences de la nature, parce qu'elles sont l'expression même de la vie. Ils fréquentent l'Ecole forestière et dessinent avec passion les fleurs des champs avant de les transposer sur le verre, le bronze ou le bois . .
Savante alchimie dont la cristallisation s'effectue au détour des années 1880 (près de dix ans avant la reconnaissance de l'Art Nouveau), dans l'oeuvre d'Emile Gallé ou de Louis Majorelle. Bien avant que l'idée d'écologie ait fait son chemin, la nature est partout présente sur leurs objets comme le rappel d'un monde aussi précieux qu'il est fragile. Conjonction d'espoirs ou d'intérêts entre artistes, intellectuels, industriels ou commerçants, l'Ecole de Nancy apparaît bien ainsi comme un phénomène global. Les valeurs qu'elle véhicule sont celles de la liberté et du progrès (politique et social, aussi bien que scientifique). Lorsqu'elle commence à s'enfermer dans une nostalgie régionale, elle entame aussitôt son déclin. L'effort de renouvellement n'en sera que plus remarquable au lendemain de la première guerre mondiale. Loin de se complaire dans un artisanat d'art devenu trop coûteux, Daum, Gruber ou Majorelle s'attaquent de front à la production en grande série. Passant du langage floral à une forme nouvelle de stylisation où la fantaisie de la couleur et de la matière règne en maître, ils donnent à l'Ecole de Nancy une autre image: celle de l'Art Déco, auquel elle est intimement liée. On ne pouvait plus clairement exprimer le caractère collectif des mouvements culturels que dans ces manifestations pourtant si individuelles du génie artistique propre à quelques-uns de ses plus illustres créateurs.
La leçon que l'on peut en tirer aujourd'hui n'est pas seulement patrimoniale, elle montre le lien indissociable entre le dynamisme d'une ville, d'une région, et la vitalité artistique de leur production. L'art n'est pas seulement dans les musées et les galeries, il est aussi dans les objets les plus ordinaires auxquels il donne cette dignité sans laquelle il n'y a pas de véritable culture.
La réussite de l'Ecole de Nancy est d'en avoir apporté la démonstration...
Par François Loyer, commissaire général de l'Année de l'Ecole de Nancy
La Lorraine connaît avec l'Art Nouveau l'un des plus grands moments de son histoire artistique. L'explosion économique vécue par la région durant le dernier quart du XlXe siècle y a nécessairement contribué; toutefois, la prospérité ne suffirait pas à justifier par ellemême une telle réussite. La réputation internationale acquise par le mouvement a été le résultat de multiples efforts, souvent bien audelà des cercles étroits de la création. Pour perdurer, l'activité culturelle ne peut se contenter en effet d'apparaître comme le produit de la mode ou de la satisfaction des élites. Elle doit s'enraciner au coeur de la vie économique d'une région, tirer parti de ses ressources jusqu'à en devenir l'emblème. L'Ecole de Nancy est si bien parvenue à le faire en son temps qu'elle nous apparaît encore aujourd'hui comme un modèle. Deux générations déjà ont oeuvré au développement culturel de la Lorraine lorsque se fonde, en 1901, l'Alliance provinciale des Industries d'art. De l'arrivée du chemin de fer (1850) à la création de l'université (1854), les conditions ont été réunies pour l'envol économique et intellectuel de la région. Malgré le choc de la guerre perdue, en 1870, puis l'immigration massive des Alsaciens victimes de l'Annexion, la ville connaîtra une formidable expansion. Le développement des industries chimique et sidérurgique en font bientôt l'un des centres de la production nationale.
Nancy se hisse dès lors au rang des capitales régionales. La relance d'activités traditionnelles comme la fabrication de la céramique et du verre vient ajouter à cette production un volet plus directement tourné vers la consommation. En donnant une qualité artistique aux objets manufacturés, les créateurs de l'Ecole de Nancy ont scellé l'alliance entre art et industrie à laquelle rêvait le monde moderne. L'idée était dans l'air depuis la génération du romantisme. Dans l'Angleterre victorienne, John Ruskin dénonçait déjà avec emphase le mauvais goût bourgeois d'une production d'imitation inspirée par les styles du passé et soumise aux exigences de la série. A contre-courant de son époque, il revendiquait le retour à I'artisanat comme la seule solution du conflit. La grande force des nancéiens (au premier rang desquels se situe Emile Gallé) est d'avoir dépassé cette antinomie en prônant, à la manière de William Morris, la collaboration de l'art et de l'industrie au sein d'une chaîne continue intégrant la pièce unique, le multiple et la série comme les différents états de la conception puis de la diffusion des objets d'art auprès d'une clientèle élargie. Attaché à l'individualité de sa production, Gallé ne partageait certes pas entièrement les visées du mouvement des "Arts and Crafts". Il voulait consacrer le triomphe de l'artisanat d'art sur la série, mais il savait que cette dernière était incontournable. Le marché qu'il visait (et auquel il est parvenu) était moins étroit que celui des galeries ou des collectionneurs. Grâce à lui, I'Ecole de Nancy a fait le passage d'un artisanat de luxe à toute une gamme des produits plus courants -rétablissant au passage le lien qui s'était brisé entre I'ordinaire et l'exceptionnel. On comprend la croisade que Roger Marx mènera bientôt en faveur d'un "art social" dont l'instrument devait être l'art appliqué à l'utile. La modernité du propos est remarquable, elle situe l'un des enjeux majeurs de l'art du XXe siècle. La condamnation des hiérarchies académiques entre Beaux-Arts et arts mineurs, la foi dans l'avenir des arts décoratifs comme expression "de la vie moderne et du progrès" (selon la formule de Williams Morris) sont à I'origine de cette orientation novatrice. Elle devait conduire les arts appliqués de l'artisanat vers la petite série, en donnant à l'artiste la position d'un créateur de modèles qui nous est désormais familière, sans pour autant le couper des exigences de la qualité. Une telle évolution n'était possible que relayée par une diffusion commerciale à large échelle, celle des grands magasins ou de la clientèle internationale. Les industries d'art de Nancy ne se sont donc pas limitées à la sphère régionale ou nationale.
De Chicago à Turin en passant par Londres, Munich ou Bruxelles, elles ont été à la conquête de marchés mondiaux, à travers les expositions universelles ou les manifestations artistiques leur permettant de se faire mieux connaître à l'étranger. La dernière étape de cette marche vers la consécration internationale d'un mouvement régional a été l'enracinement dans le contexte lorrain. Culturellement, I'Ecole de Nancy est profondément locale par ses sources renouant avec le gothique flamboyant ou le Rococo dont la Lorraine avait été la terre d'accueil. Mais elle ne s'enferme pas dans l'imitation encore moins dans la nostalgie. Elle tire de l'imaginaire floral du décor médiéval un monde d'invention, nourri par la longue tradition française du néogothique (tradition qu'elle conteste bien qu'elle en soit l'héritière). Nombreuses avaient été les recherches sur la stylisation de l'ornement floral, depuis Ruprich-Robert ou Viollet-le-Duc jusqu'à Grasset; toutes tendaient à faire de l'art floral un exercice purement graphique d'animation des fonds. La génération de la fin du siècle récuse à l'évidence le bien fondé d'une telle conception. Lorsque Eugène Vallin se tourne vers le gothique flamboyant, c'est pour en souligner l'inépuisable fantaisie, en dire l'abondance et la diversité, le perpétuel renouvellement ... D'autres y ajouteront cette dimension onirique du symbolisme qui caractérise l'époque. Il s'en dégage une production libre dans ses formes, riche d'émotions comme de références. Les artistes de l'Ecole de Nancy regardent également du côté des sciences de la nature, parce qu'elles sont l'expression même de la vie. Ils fréquentent l'Ecole forestière et dessinent avec passion les fleurs des champs avant de les transposer sur le verre, le bronze ou le bois . .
Savante alchimie dont la cristallisation s'effectue au détour des années 1880 (près de dix ans avant la reconnaissance de l'Art Nouveau), dans l'oeuvre d'Emile Gallé ou de Louis Majorelle. Bien avant que l'idée d'écologie ait fait son chemin, la nature est partout présente sur leurs objets comme le rappel d'un monde aussi précieux qu'il est fragile. Conjonction d'espoirs ou d'intérêts entre artistes, intellectuels, industriels ou commerçants, l'Ecole de Nancy apparaît bien ainsi comme un phénomène global. Les valeurs qu'elle véhicule sont celles de la liberté et du progrès (politique et social, aussi bien que scientifique). Lorsqu'elle commence à s'enfermer dans une nostalgie régionale, elle entame aussitôt son déclin. L'effort de renouvellement n'en sera que plus remarquable au lendemain de la première guerre mondiale. Loin de se complaire dans un artisanat d'art devenu trop coûteux, Daum, Gruber ou Majorelle s'attaquent de front à la production en grande série. Passant du langage floral à une forme nouvelle de stylisation où la fantaisie de la couleur et de la matière règne en maître, ils donnent à l'Ecole de Nancy une autre image: celle de l'Art Déco, auquel elle est intimement liée. On ne pouvait plus clairement exprimer le caractère collectif des mouvements culturels que dans ces manifestations pourtant si individuelles du génie artistique propre à quelques-uns de ses plus illustres créateurs.
La leçon que l'on peut en tirer aujourd'hui n'est pas seulement patrimoniale, elle montre le lien indissociable entre le dynamisme d'une ville, d'une région, et la vitalité artistique de leur production. L'art n'est pas seulement dans les musées et les galeries, il est aussi dans les objets les plus ordinaires auxquels il donne cette dignité sans laquelle il n'y a pas de véritable culture.
La réussite de l'Ecole de Nancy est d'en avoir apporté la démonstration...
Histoire de l'école de Nancy